Mais en fait, il y a beaucoup de choses à écrire à la place de ces pointillés sournois.
En premier, je mange, donc je suis grosse.
Ah bah oui, ça, y'a pas de mystère, on pourrait même dire qu'il y a une forme de logique, voire de justice en ce qui me concerne : rien à voir avec un problème quelconque d'une glande qui serait hyper ou hypo quelque chose, ou encore avec un truc héréditaire : je mange.
Alors oui, même si en ce moment je mange moins et moins mal qu'avant, ça ne change pas grand chose. Je ne prétends pas que mon poids est dû uniquement à mon alimentation, mais faut pas exagérer, il y est quand-même lié un brin...
En second, et c'est pour bientôt, je mange, donc je suis une icône glamour.
Ma copine Gaëlle l'a lu dans Elle, il paraît qu'on peut porter du 52 et être bien dans sa peau. Ben tiens, pas fous les autres : de plus en plus de gros par ici, y'a un marché, on va leur faire des fringues un peu bien coupées, et un peu moins laides qu'avant ! Attends : crois-le ou non, maintenant on a même droit à la couleur ! Avant c'était noir, blanc, gris, sépia... Valait mieux être vieille, ou daltonienne, en tout cas pas dépressive... Maintenant, ce serait presque l'excès inverse : grosse tu es, fuschia et turquoise tu porteras... Ils ont aussi compris un ou deux détails : tu peux être grosse ET grande, tu n'es pas pour autant obligée de porter le pantalon à mi-tibia ; tu peux être grosse ET avoir forme humaine, tu n'es pas pour autant obligée de porter un jean en toile légère avec un élastique à la taille comme ta belle-mère, mais un jean normal ; tu peux être grosse ET vouloir un minimum de classe dans tes vêtements, tu n'es pas pour autant obligée d'aimer les vestes avec boutons dorés aux manches et épaulettes ; ah, et incroyable : tu peux être grosse et grande ET avoir les pieds larges, tu n'es pas pour autant obligée d'aimer les mocassins à pompons ou les chaussures assorties au jean de belle-maman précédemment cité...
En troisième, je mange, donc je suis coupable !
Bien sûr, on l'est toutes. Vous me voyez forte et sûre de moi, je n'essaie pas de planquer mon surpoids mortifère (ah oui : obésité morbide : c'est ça le mot) sous des capes invisibles (j'ai un scoop : ça marche pas), souvent vous vous dîtes que c'est bien d'assumer, rien à faire du regard des autres, et comme c'est bien, et bla bla bla...
Mais voyons un peu si c'est toujours le cas au Mc Do... Allez, soyez honnêtes, quelqu'un oserait me dire qu'en voyant un obèse manger un Big Mac, il n'a jamais pensé, même furtivement, que fallait pas s'étonner ? La vérité, moi ces regards-là je ne les vois plus. Je n'en dirais pas autant de mes enfants. Eux voient tout, comprennent tout dans les yeux des gens qui regardent leur maman qui mange avec eux une fois tous les deux mois dans un fast. C'est naturel, hein, je veux dire dans 90% des cas, ce sont des regards qui durent une seconde, parfois même ce n'est pas conscient. N'empêche. N'empêche que parfois c'est méchant, ça juge, ça accuse, ça condamne, ça blesse. Passons.
En quatrième, je mange, donc je suis handicapée.
Ben oui, handicapée. Toi qui fais 60 kg, passe une combinaison qui double ton poids et ton volume, et essaie d'attacher une ceinture dans un bus, essaie de pas te faire mal au fondement sur un siège d'une attraction du Futuroscope, essaie de savoir s'il est judicieux d'acheter des toilettes suspendues, essaie de faire du monorail à Touroparc avec tes gamins, essaie de sortir dignement d'un fauteuil trop profond, essaie de ne pas montrer ton angoisse lorsque tu dois franchir une passerelle ridicule pour monter sur un bateau, essaie de t'asseoir à une table fixée au sol au Buffalo sans manger avec tes seins dans l'assiette, essaie de lacer tes pompes sans arrêter de respirer, essaie d'être en forme le matin quand tu soupçonnes que tu as des apnées du sommeil mais que tu ne veux pas dormir avec un appareil car tu as 36 ans et une vie sexuelle (ce qui est en soi un exploit, merci mon chéri), j'en passe, et des meilleures...
En cinquième, je mange, donc je suis rassasiée.
Alors certes, ça peut paraître étrange, et pourtant ça fait partie du problème. On pourrait croire que nous-autres gros, nous mangeons pour combler un vide affectif ou que sais-je, et c'est sans doute un petit peu vrai, quelque part. Mais il y a aussi autre chose : on mange parce qu'on a faim. Inconcevable.
En sixième, je mange, donc je suis épanouie.
Bizarre, ça, hein ? S'il y a une chose que j'ai comprise, c'est que le mal-être n'est pas un symptôme de l'obésité, et si lien de cause à effet il doit y avoir, il serait plutôt l'inverse. J'ai déjà été beaucoup moins grosse que ça, et je n'étais pour autant pas mieux dans ma peau. En meilleure forme, oui. Dans la norme, en gros (hin hin hin). Plus heureuse, non. Anecdote : la maman du Mama doit nous donner un petit appareil de cuisine qui sert à remplir les choux à la crème, un peu comme une seringue qui remplacerait la poche à douilles, voyez le genre ? Bref, l'autre soir à table, on faisait le point avec les enfants sur un sujet essentiel : la différence entre la pâte à choux et la crème pâtissière, avec l'exemple évident de l'éclair au chocolat. Le Mama me dit qu'avec l'appareil sus-nommé, ce sera un jeu d'enfant. Je lui indique alors que si on récupère ce truc et que je me mets à faire des éclairs ou autres religieuses, on va finir monstrueux, et là, il me dit "on s'en fout". Le choc : c'est vrai. Au fond, tout au fond de moi, il y a la gourmande qui s'en fout d'être monstrueuse, et qui n'échangerait pas sa ligne courbe et le plaisir de manger un éclair au chocolat fait maison contre un ligne droite et la frustration.
En septième, je mange, donc je suis moi.
Depuis des années cette question revient. Pour perdre du poids, dois-je sacrifier une des choses que je préfère au monde : manger ? Je sais que j'y suis condamnée, vue ma nature. Mais quand je fais le compte, je me dis que j'ai arrêté de fumer pour ma santé et celle des miens, j'ai mis des capotes quand il a fallu pour ma santé et celle de mes partenaires, je ne bois plus d'alcool quand je roule pour ma santé et celle des autres gens dans ma voiture et sur la route, je fais un peu de bénévolat pour ma conscience et notre société, est-ce qu'il va falloir aussi que j'arrête de manger ? Et que je me mette à courir tous les jours ? Et boire Contrex ? Et faire du Yoga ? Et apprendre 8 langues à mes enfants ? Et traiter les cons et les méchants avec magnanimité et compréhension ? Et tendre l'autre joue ? Merde à la fin ! Et à la faim ! Jeu de mots trop facile pour ne pas le placer.
Je ne suis pas heureuse d'être grosse, je préférerais être dans cette garce de norme, moi-aussi. Mais je n'y suis pas. Et je crois que ce qui risque de me rendre malheureuse c'est de ne pas accepter cet état de fait, et finalement, je ne sais pas au nom de quoi.
Maintenant, je vous laisse, je vais aller boire le jus d'un citron et manger la moitié d'une feuille de salade. Ou une limonade pas light et petit plat Picard. Et pis c'est tout. Non c'est pas tout, un dessert aussi. Quitte à mourir en 2012, autant mourir en ayant mangé un dessert.
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